
Partout où je réside depuis plus de 25 ans, j’y construis un inukshuk. Peu de temps après mon installation, je trouve les pierres, je l’assemble et je signale notre présence. Il devient mon représentant, gardien des lieux pendant mes absences et, bien visible du chemin, un repère pour quiconque j’invite à la maison pour une première fois. Pour celui-ci, j’avais spécifiquement demandé à mon constructeur d’y déposer cette belle pierre plate en guise de socle. Il est là depuis plus de 10 ans maintenant. Évidemment, je ne suis pas Inuit. Mais j’aime la forme d’un inukshuk et ce qu’il représente. Pour un article intéressant sur l’inukshuk rédigé par un amoureux du Nord, le regretté Louis-Edmond Hamelin, (Le Devoir 2009) cliquez ici. Il faut d’abord constater que l’inukshuk représente un homme constitué de pierres. Ses pierres sont dans un équilibre relativement fragile. À chaque hiver ou presque mon déneigeur soufflera la neige sur lui, par mégarde, et le décapitera, le démantibulera. Je ne lui en veux pas. L’inukshuk passera l’hiver sans tête, parfois sans bras aussi. Ses morceaux bien à l’abri sous la neige. Je le reconstruirai au printemps, tel celui-ci, avec les mêmes pierres ou presque et jamais il ne ressemble entièrement à ce qu’il était avant. En quelque sorte l’inukshuk reste marqué, transformé par son infortune passagère. Je pense que l’inukshuk est une métaphore et aussi l’expression d’une dualité. Aussi solide qu’il puisse paraître par les roches qui le compose, il s’effondre assez aisément. Tel l’humain. Nous sommes constitués de tant de morceaux, tant de pièces imbriquées aux fins de résister tant bien que mal aux circonstances de la vie. Tel l’inukshuk en morceaux, nous avons, heureusement, l’opportunité de nous reconstruire. Faut-il souligner que l’inukshuk ne peut se construire par lui-même ? Il n’existe que par l’autre ou les autres plutôt. Comme un enfant qui grandira de l’affection et de la connaissance de ses parents, de ses enseignants, de sa communauté. Devenant une femme, un homme, aussi solide que possible mais nécessitant périodiquement une reconstruction bénéfique. Un jour plus personne ne reconstruira mon inukshuk. Tombé à la renverse, il sera un lit de pierres sans signification particulière. Sera-t-il concassé pour faire des routes ? Deviendra-t-il du sable au cours des millénaires à venir ? Qui sait ? Moi, je serai poussière depuis longtemps. Tant de ressemblances.
Pour un poème (en anglais) sur l’inukshuk de Daniel David Moses cliquez ici.